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à la recherche du bonheur
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à la recherche du bonheur
12 décembre 2006

Attention, c'est long...

Voilà, je suis en prépa depuis bientôt trois ans, et contrairement à ce que je peut laisser transparaître, je le vis fort mal. J’ai naturellement tendance à intérioriser mes sentiments, à ne laisser voir de moi qu’une façade dure, l’allure d’une fille forte. J’admets avoir un caractère vraiment bien trempé, mais c’est aussi parce qu’il est aussi dur, ce caractère, que je ne laisse que peu transparaître mes faiblesses… Alors quand je craque, en pleurant ou en parlant, forcément mon entourage ne s’inquiète pas longtemps, tant cela donne l’impression que ce n’est qu’un petit blues passager, une inquiétude pour une broutille. Mais en réalité, je commence à peine à me l’avouer moi-même, je suis victime d’un malaise profond et continu.

 

Ce malaise, je ne sais pas vraiment de quelle nature il est. Ses manifestations sont très diverses.

 

D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été obsédée par mon corps. Ce qui est incroyable, c’est que dès la primaire, je me classais parmi les grosses, et je me promettais déjà de maigrir. Mais étant très gourmande, je n’ai jamais pu entreprendre de régime.

 

Le collège a certainement été la période la plus difficile à vivre dans mon rapport avec les autres, et j’en veux beaucoup à cet environnement que je considère comme le fondement de mon manque de confiance en moi. J’étais la bonne élève, connue parce que mon père était instituteur au village, et plus ou moins chouchoutée par les profs. J’ai eu ma période rebelle, où pour « m’intégrer » j’en étais venue à cesser de travailler pour faire un peu baisser mes notes, me situer dans la moyenne. Je voulais (et je sais que c’est encore un réflexe chez moi) à tout prix être banale ; ni entrer dans la catégorie des « populaires parce que je m’en-foutistes », ni rester dans la bulle des « bons élèves boutonneux avec des lunettes ». Mais ce n’était pas possible, évidemment, parce que derrière moi j’avais des parents qui m’aimaient et s’inquiétaient de mon laisser-aller. Ils m’ont fait comprendre que cela ne valait pas la peine de brider mes capacités intellectuelles sous le seul motif de me « socialiser » avec des gens qui, de toute façons, m’avaient connue bonne élève et persisteraient malgré tout à me considérer comme telle. On n’efface pas son passé. Je suis donc passée à l’attitude inverse, à l’apparence d’assumer mon état et même d’en faire une arme. En gros, d’être une peste, méprisante au possible. Je pense y avoir mis d’autant plus de cœur que j’étais aigrie de ne pas faire partie des jolies filles, de n’être remarquée que pour mes bonnes notes à un âge où l’on rêve de se faire remarquer pour sa beauté. J’ai été « amoureuse » de beaucoup de garçons, mais sans jamais rien laisser transparaître, d’une part parce que ç’eût été faiblesse, d’autre part parce que je savais avec une lucidité étonnante pour mon âge que j’étais vouée aux « râteaux » les plus honteux…

 

Puis je suis entrée au lycée, dans un lycée hors secteur, où je ne connaissais vraiment personne. Il m’a fallu d’abord me défaire de ma timidité naturelle qui, je le concède, n’a rien que de normal ! Je m’entendais bien avec un groupe de filles, bonnes élèves comme moi, mais à un stade de la vie où les bonnes notes ne sont plus une tare, surtout dans un lycée élitiste sans le dire. C’était merveilleux pour moi d’avoir de vrais amis, moins bons que moi, mais qui ne m’en voulaient pas, et que j’avais plaisir à aider parce que je savais qu’ils n’utilisaient pas mes connaissances, qu’ils travaillaient avec moi. J’ai appris beaucoup plus de choses sur la vie durant ces trois années de lycée que toutes les années précédentes.

 

Malheureusement, a posteriori je me dis qu’une trop grande part de ma vie est restée soudée au travail. Je n’avais de vie sociale qu’au lycée, y allant le matin en bus, en repartant le soir, sans jamais pouvoir m’attarder à la sortie parce que ce bus était peu fréquent, sans jamais pouvoir sortir entre amis parce que cela nécessitait toujours d’une part l’assentiment de mes parents, d’autre part et surtout leur accompagnement en voiture parce que nous habitions loin. En revanche, j’ai eu de la chance de pouvoir intensifier ma pratique de la natation, associée à la natation synchronisée, ce qui m’a empêchée de trop me renfermer. J’y ai connu ma meilleure amie.

 

Et puis, en fin de première, il y a eu un garçon. C’était très fort, cette fois ; j’en étais amoureuse sans le connaître, comme souvent, mais il y avait quelque chose d’indéfinissable, comme une voix qui me disait « ne le laisse pas passer ». Je me suis mise à faire attention à moi, mais ce n’était plus pour moi-même en vérité : j’aimais, le matin en choisissant mes vêtements, me dire que cela allait peut-être le faire se retourner, ne fût-ce qu’un quart de seconde. Mais au fond de moi je manquais encore d’assurance. J’en avais assez de me croire encore dans mon corps d’enfant alors qu’il avait déjà bien changé. Et puis ce garçon avait deux ans de plus que moi, c’était un homme ; je me devais d’être une jeune fille à présent.

 

J’ai donc pris à ce moment-là ma grande résolution : un régime. J’en avais réellement besoin, même ma mère approuvait. Mais elle a eu peur, parce que je maigrissais bien. Sans cesser de manger pour autant, je faisais très, très attention. Ma mère et ma sœur ont eu du mal à supporter ce changement, et elles ont essayé –consciemment ou non, je ne le saurai sans doute jamais – de me démoraliser. J’ai eu droit à des réflexions très dures, allant jusqu’à me faire traiter d’anorexique, ce dont à présent, je le sais, j’étais fort loin. J’ai perdu au total 13 kilos en quelques mois. J’étais heureuse, je pouvais changer ma garde-robe, mettre des vêtement que je n’aurais jamais mis auparavant. Je me sentais non séduisante, mais normale. Pour la première fois je n’étais plus préoccupée par mon corps, je me sentais bien.

 

Le revers de la médaille, cela a été que je n’ai vraiment rien vu dans le miroir. Je ne me suis pas vu maigrir du tout, et c’est assez impressionnant à constater. Je voulais maigrir encore, j’avais subordonné le fait d’aller voir ce garçon à un chiffre sur la balance.

 

Entre-temps, je n’avais plus mes règles. J’étais très peu inquiète, voire soulagée, parce que les règles avaient toujours été pour moi un calvaire mensuel, assorti de cocktails spasfons-efferalgans-bouillotte-mauvaise humeur…

 

Au lycée, j’ai eu une chance énorme en parlant de ce garçon à une amie : elle le connaissait, étant très amie avec son meilleur ami. Mais lorsque naturellement elle a demandé mon autorisation « pour qu’elle lui en parle », j’ai refusé. Nous avons trouvé un pseudo stratagème, moitié vrai, moitié échafaudé : j’avais du mal en philo au début de la terminale, il fut donc entendu que par moyens détournés, ce garçon me prêtât ses cours de philo… Nous nous sommes donc connus ainsi, mais nos relations restaient distantes bien qu’amicales. Pour la première fois, je sentais qu’il se passait quelque chose, même si c’était infime, je savais qu’il n’était pas insensible, que peut-être je lui plaisais. Mais il était d’une timidité pire que la mienne. Aujourd’hui, je souris de notre situation : deux benêts rouges comme des tomates ne sachant quoi se dire de banal… J’ai été certaine de lui plaire quand mon amie m’a dit qu’elle l’avait très rarement vu bégayer ; avec moi c’était systématique. Mais je n’ai rien poussé de mon côté. Le matin, nous arrivions tous les deux très tôt, à une heure où il n’y avait encore personne dans le lycée, et pourtant j’étais tellement mal que je faisais semblant de ne pas l’avoir vu. Chaque matin, je résolvais d’aller le saluer, de rester un peu avec lui, mais chaque fois que j’apercevais sa silhouette je changeais de chemin ou bien je m’installais dans un couloir pour lire… sans jamais tourner ma page, bien sûr. De temps en temps, je me lamentais, de temps en temps, je lui en voulais, à lui, de ne pas faire le premier pas. Je me souviens de cette joie inouïe, lorsqu’il était venu me voir au CDI, moi assise sur ma chaise, lui accroupi très près de mes genoux, pour une fois parler de manière désintéressée. Et de ce bonheur qui m’avait envahie, lorsqu’il avait été intrigué par ma montre posée sur la table et dont, tout en me parlant, il faisait tourner les strass sur ses doigts… Sur le moment, je n’avais pas conscience de la signification d’une telle approche, et ce n’est qu’à présent que je me dit que lui-même avait dû faire un gros effort pour en arriver à cela. Je suis très égoïste.

 

Nous avons eu des relations très espacées par emails, pour se tenir l’un et l’autre au courant, moi de ses concours, lui de mon bac. Puis plus rien.

 

Ma première année en prépa a été un choc, celui de me retrouver hors du cercle familial, à la fois réconfortant et étouffant. Bien que cela ne remonte qu’à deux ans à peine, je n’ai de souvenir que celui de mes voyages quasi-hebdomadaire entre la capitale et a ville, de mes pleurs systématiques à la gare au moment de repartir, de mon angoisse de ne pas passer en deuxième année.

 

C’est en prépa que le bon élève, si modeste soit-il, se rend compte qu’il n’est pas le meilleur. C’est en prépa que je me suis rendue compte que finalement, quoi que j’avais pu en dire, j’appréciais d’être mise sur un piédestal et que j’avais du mal à en descendre.

 

C’est là aussi que j’ai commencé à comprendre comment le monde fonctionne, que parfois, par habitude ou par amour, on se masque des choses gênantes. Ce qui m’a le plus affligée quand je l’ai compris, c’est la fierté de ma mère. Elle n’était pas contente pour moi que je sois une bonne élève, non, elle l’était – elle l’est – pour elle, parce que cela manifeste la bonne éducation qu’elle m’a donnée. Ma sœur, qui a fait un an de prépa, n’a pas été admise à redoubler, et de toute façon elle ne voulait pas refaire une année tant n’importe quelle prépa est éprouvante. Certes. Mais jamais ma mère n’a raconté cette version-là à la famille ni ses collègues (je ne dirai pas ses amis, puisqu’elle n’en a pas). Elle a toujours mis en avant le fait que ma sœur avait choisi de ne pas retenter le concours, qu’elle avait trouvé une autre voie qui l’intéressait plus. Chose qui en soi est un mensonge, car ma sœur avait longtemps rêvé d’être vétérinaire, et sa bifurcation en pharmacie, même si à présent elle en est heureuse, avait été une voie « de garage » qui l’avait d’ailleurs si peu enthousiasmée qu’elle avait redoublé sa première année. Ainsi donc, ma mère tente de rétablir sa couronne en disant à tout le monde – et rarement de manière appropriée – que sa cadette fait ses études à Henri IV, Paris pour les « incultes ».

 

Le soutien psychologique de mes parents, de ma mère surtout, tient donc pour moitié à un amour parental que je ne renierai jamais, tant il est légitime et heureux, mais pour l’autre moitié à un souci de faire que je ne déroge pas, que je lui fasse honneur. Elle a été déçue, je le sais, que je n’aie pas mon concours du premier coup. Mais elle n’a pas compris, pire, elle n’a pas cherché à comprendre pourquoi je ne l’ai pas eu. Quand j’ai su que je n’étais pas admissible, j’étais très déçue pour moi-même, parce que cela m’a prouvé que la seule volonté ne suffit plus à ce stade d’études, parce que dans le monde des adultes on ne cherche plus à vous faire croire que vous êtes bon ; on ne prend que ceux qui le sont réellement. Ma mère, je n’y ai pas pensé. Et j’y pense de moins en moins. Elle, pense encore que je règle ma vie selon ce qu’elle m’aura fait comprendre ; la vérité c’est que je veux la régler selon ce que moi, j’en ressens.

 

Et à presque vingt ans, ce que je ressens, c’est un gros besoin d’amour, mais d’un amour qui ne soit pas familial ; une bouée psychologique qui vienne de quelqu’un d’autre que de mes parents ou de ma sœur, parce que je ne leur fais plus confiance. En vivant loin d’eux, en espaçant mes retours, j’évolue d’une autre manière, et ce qui me choque c’est de les voir, eux, de voir ce que j’aurais pu devenir en restant à leurs côtés. De voir ma sœur, à 24 ans encore chez ses parents sans chercher vraiment à s’en détacher parce que c’est bien pratique d’avoir une chambre propre, un frigo plein, des vêtements repassés et une garderie pour le chat si jamais on se fait une soirée « rebelle-je-sors-avec-mon-copain ». De voir ma mère dont les seules préoccupations sont d’aller faire des courses tous les jours et d’épier le voisin. De voir mon père bougonner de plus en plus en alternant télé et ordinateur, et se faire gentiment réprimander quand il enchaîne déjeuners professionnels et stages de kayak alors que ma mère est incapable de bien s’entendre avec ses collègues de travail parce qu’elle cherche à tout commander. Et de les voir, tous les trois, m’accueillir quand je rentre avec un mélange de joie – on est une famille unie, tout de même ! – et de méfiance, comme si je menais une double vie, « là-bas », à Paris, et que je passais mon temps à leur mentir.

 

Si j’en reviens à mon poids, mon régime s’est peu à peu effacé, et l’angoisse de la prépa a achevé de le faire disparaître. Je me suis reportée sur la traditionnelle « nourriture-doudou », jusqu’à enchaîner des épisodes de compulsion alimentaire. J’ai essayé de me faire vomir plusieurs fois, mais sans jamais y parvenir. Déjà, le diagnostic est clair : je ne suis pas boulimique.

 

Mais du coup, cela fait deux ans que j’ai un rythme alimentaire de plus en plus irrégulier, de plus en plus déséquilibré. J’ai repris mes 13 kilos, je les ai même dépassés. De temps en temps, j’ai refait régime, mais la lenteur de la perte de poids m’horrifie. Cet été a été catastrophique, sans doute à cause de la combinaison échec au concours - retour à deux mois intégraux de vie avec ma famille.

 

En début d’année, donc j’ai commencé par refaire attention à mon poids, en cessant de manger le soir puisque c’est à ce moment que j’ai tendance à me goinfrer, et en mangeant moins aux deux autres repas. Mais j’avais tellement grossi qu’en un mois, même si j’ai perdu, mes jeans ne m’ont rien laissé savoir. J’ai donc eu une phase de dépit, de « ça sert à rien de toutes façons » et j’ai recommencé à manger n’importe comment pendant quelques jours.

 

Me reprenant, j’ai franchi le pas, en achetant un drainant 10 jours. Ce qui a sensiblement marché, mais j’ai eu le mauvais calcul de finir mes sachets juste avant de partir en vacances de Toussaint… chez moi. Pour ne pas inquiéter mes parents, et puis sans doute pour me réconforter moi-même, je n’ai pas réfréné les douceurs. Et je suis revenue aussi grosse que j’étais à la rentrée.

 

Entre-temps, je suis sortie plusieurs fois, j’ai rencontré le meilleur ami d’une copine mais avec lequel je suis en train de reproduire le schéma précédent, à savoir : donner le moins de signes possibles alors que je meurs d’envie de lui faire comprendre. Je sais clairement ce qui me bloque à présent : je ne me trouve pas assez bien pour lui. C’est-à-dire que j’ai toujours en tête cette année consécutive à mon régime, où mon corps m’allait tellement bien, où je ne me sentais pas encombrée, qu’à présent j’ai toujours honte de moi en face d’un homme si je ne suis pas chaudement vêtue. Je me dis qu’à mon âge, j’ai quand même à me préoccuper de mon apparence nue. Et déjà qu’habillée, je ne m’aime pas, nue dans la glace, je me déteste carrément.

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